Description

Anne Quentin, auteure et critique dramatique

Poser la question de la dramaturgie impose d’en donner une définition claire. Le mot vient du théâtre. Patrice Parvis dans son dictionnaire la définit comme « la technique ou la poétique de l’art dramatique qui cherche à établir les principes de construction de l’œuvre. »  Le philosophe et théoricien de l’art, Jean-Marc Lachaud parle lui d’un art de coudre ou composer des actions.  Cette dernière définition convenant mieux au cirque art de l’action plus que du verbe.

Selon la dramaturge flamande Marianne Van Kerkhoven, la dramaturgie sert aussi à articuler la scène et le monde. Un art d’ouvrir l’horizon, non seulement à ce qui est en train de se fabriquer ou à une pratique circassienne mais en y incluant la réalité du monde dans laquelle ce qui se fabrique prend place. En d’autres termes, la dramaturgie doit être à l’écoute de ce qui se fait dans le champ exploré comme dans la thématique abordée.

Que la dramaturgie naisse au théâtre n’implique pas qu’elle s’y réduise.  Le cirque n’est pas une narration et porte ses propres dramaturgies. Dans le cirque traditionnel, le numéro, unité de base du cirque  a une dramaturgie qui consiste à attiser l’émotion du spectateur en jouant de juxtapositions et des coupures de la prouesse, entre moments faibles et figures virtuoses. L’effet produit au sens brechtien (Pour Brecht, la dramaturgie était déterminée par l’effet que l’on cherchait à produire sur le spectateur) est de faire mesurer le risque d’accident voire de mort par le spectateur en jouant crescendo de ses émotions. Une dramaturgie des passions, mais une dramaturgie. Au-delà du numéro, tout  le cirque traditionnel est fondée sur cette relation de gradation du « toujours plus de virtuosité, toujours plus d’exploit « .

Le nouveau cirque a mis à mal cette idéologie du surhomme en la supprimant ou au moins en l’interrogeant. On y parle plus volontiers d’une dramaturgie fondée sur l’engagement des corps, le sens, dans ce qu’on a pu appeler la performance autrement qui exige une présence entière, un dépassement de la technique, un « état » : De l’épuisement des possibles du corps ou de l’agrès jusqu’au fait d’accepter de perdre en technique ou en virtuosité, pour explorer des zones où la qualité d’une présence, d’une émotion ou d’une figure peuvent alors primer.  Le Cri du caméléon, souvent cité comme modèle d’une autre manière de penser le cirque dans sa construction même est à ce titre emblématique. Personnages au comportement étrange, mouvements qui virent au tic… le chorégraphe Josef Nadj a préféré à l’exploit, les conséquences du geste, pour créer un monde en soi, non conforme, le hors-norme comme conduite magnifiée par le plateau. L’interprète n’existe plus pour lui-même dans la virtuosité de son art, mais comme élément d’un tout, une matière d’un drôle de cosmos, un laboratoire d’entomologie des comportements humains.  Tout le cirque contemporain a bénéficié de ce renouvellement spectaculaire de la dramaturgie du genre.

Il n’en reste pas moins que toutes ces manières de définir le paysage « vague » de  la dramaturgie pourraient noyer les principes de construction, cette dramaturgie de la composition qui est la plus concrète dans cette notion polysémique de la dramaturgie.  Elle détermine l’architecture du spectacle, combine les pratiques circassiennes, le son, la lumière,  la scénographie. Il ne s’agit pas pour autant de mettre de l’ordre ou de traquer l’aléatoire mais au contraire d’agencer en plus des éléments tangibles, ces éléments divergents. Il s’agit non pas d’accumuler mais de permettre la pénétration, la déformation des éléments les uns par les autres, leur interaction dans un jeu de combinaisons et d’organisations, dans une confrontation de langages corporels d’agrès et de mediums plastiques, chorégraphiques, vidéo en se jouant des codes du cirque… qui vont en démultiplier les effets, les signes et le sens  pour inventer la forme.

 

Si le terme de dramaturgie, vers lequel tous les regard du présent ouvrage convergent, était peu employé au cirque avant les années 2000, il connaît aujourd’hui dans ce domaine un essor important, qui génère nécessairement des questionnements sur sa signification précise et sur les enjeux qu’il recouvre. Bien plus qu’un manuel, qui fixerait une méthode ou une vérité, ce recueil d’articles se veut avant tout un outil mis à disposition de toutes les personnes qui s’intéressent aux arts du cirque contemporain.

  • Sous la direction de Diane Moquet, Karine Saroh et Cyril Thomas / Préface par Barbara Appert Raulin, Virginie Jortay, Gérad Fasoli, Cyril Thomas et Diane Moquet / Contributions par Karel Vanhaesebrouck (Université libre de Bruxelles), Philippe Goudard (Université Paul Valéry Montpellier), Ariane Martinez (Université de Lille), Jean-Michel Guy (chercheur indépendant), Marion Guyez (Université Grenoble Alpes, compagnie d’Elles), Bauke Lievens (KASK School of Arts, Université de Gand), Corine Pencenat (Université de Strasbourg), Maroussia Diaz Verbèke (Compagnie le Troisième cirque), Franziska Trapp (Université de Münster), Marian Del Valle (chercheuse indépendante), Karine Saroh (Université Toulouse Jean Jaurès) et Thomas Cepitelli (chercheur indépendant)
  • Éditeur ‏ : ‎ Le Cnac et la Chaire ICiMa
  • Langue ‏ : ‎ Français

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