Description

Anne Quentin, auteure et critique dramatique

Créer, c’est agir, faire acte, processus. L’un ne va pas sans l’autre. Et si la création ne pose guère de problème dans sa définition, il en va tout autre du processus qui reste souvent difficile à définir avec précision. Qu’est-ce que se mettre au travail ? Quelle préscience, quels ingrédients, savoir-faire, prérequis pour laisser advenir l’imaginaire, son flux d’images, de gestes ou de mots ?

En psychanalyse, on entend par processus de création, les transformations complexes qui permettent de construire un « objet » matériel ou immatériel. À mesure de la construction d’une forme, l’image devient figure aux sens multiples, à laquelle s’allie le langage. La représentation ainsi fabriquée peut alors contenir la traduction du monde sensible et du corps désirant où mots et images ne peuvent plus être dissociés. Ces agencements constituent la source de tout ce que l’humain est en mesure d’extraire de lui-même : le rêve, le fantasme, l’idée, l’invention, l’objet mais aussi les symptômes dérangeant le corps et le psychisme. Le processus de création est donc l’étape qui permet d’ouvrir vers la conscience ou le geste. Une manière de dire qu’il n’y a pas un temps fixé dans le marbre pour le commencement d’un processus de création et que ce qui s’y met en place relève tout autant de ce qui s’imagine dans le concret de la situation du spectacle que tout ce qui est inaudible voire invisible aux créateurs-mêmes et se niche dans les recoins de leur psyché. Cela étant, penser processus, c’est envisager la création comme dynamique, engendrement, maïeutique.

Dans le cirque traditionnel, les choses sont très orchestrées, immuables. L’exploit, le risque, le dépassement, le rythme de la piste, la multiplicité des prouesses qui y prennent place exigent surtout un savoir-faire, de l’entraînement, du rythme. Les numéros s’agencent dans un ordre pré-construit d’alternance de numéros à forte charge émotionnelle et de moments plus détendus avec le clown par exemple, toutes les disciplines doivent s’y représenter et la parade finale clôt le spectacle.

Dans le cirque contemporain, le processus s’est complexifié. Il y a autant d’artistes que d’univers de création. Alors, comment interroger les différentes manières de faire art ? On peut affirmer sans prendre trop de risques que dans un processus il y a un début, une fin, des étapes de composition. L’ordre n’est pas immuable, mais le spectacle a ses lois.
Le cirque d’aujourd’hui s’ancre dans les convulsions du monde. Ce cirque d’ici et maintenant se veut inspiré, il s’écrit, se questionne, s’expérimente, s’élabore, se représente. La question centrale, celle qui met le pied à l’étrier du créateur devient : la prouesse mais pour raconter quoi ? Et comment ? Quels sont les modes d’écriture dans le cirque ? Quels choix, quels parti pris pour quels gestes ? Quelles répétitions ? Toutes ces interrogations sont le quotidien des créateurs en création.

Il y a le point de départ. Un désir d’abord. Une idée, un sujet, un principe… Quoi dire et pourquoi. C’est la base, l’essence, l’élan. Le vide, l’enfermement, le groupe, l’équilibre traversent nombre de créations, elles partent des sensations ressenties par les artistes dans leurs pratiques, elles l’inscrivent dans le monde mu de ces mêmes interrogations. Vient alors le moment de l’exploration. D’où je pars, avec quels outils, quelle grammaire, quelles techniques, quels agrès. Puis, vient le moment d’expérimenter. Cette étape est essentielle. Aucun geste de cirque ne peut arriver ex nihilo. C’est là que s’invente le geste, que s’évalue le risque, réel ou sublimé, que se forge l’exigence des corps. C’est de là que le mouvement surgit dans une confrontation à l’espace. Vient enfin le temps de la composition. Ce terme venu de la musique exprime pour de nombreux circassiens la manière dont s’agencent les séquences ou les numéros. C’est une phase où l’on décide ensemble, ou seul ; la création prend les contours de ceux qui y participent. C’est le moment où le geste entier prend son sens, depuis la scénographie jusqu’au jeu. La représentation est née. Qu’est-ce que représenter quand l’artiste est tout entier l’auteur de son propre geste ? Quelles relations au public dont le cirque se targue de lui être intrinsèquement lié ?

Toutes ces questions forgent le processus qui n’est que résolution de problématiques, quel que soit le champ de l’art. S’il fait spécificité au cirque, c’est dans nature de ces questionnements. L’exposition délibérée des corps, le jeu avec les lois de la gravité, la résolution permanente des déséquilibres, la relation au risque, au public, à l’itinérance n’appartiennent qu’à ce champ.

 

 

Ils ont choisi le cirque, créent des spectacles. Vingt-cinq artistes de cirque, des plus jeunes au plus aguerris, prennent -enfin- la parole sur leur manière de travailler. Pourquoi ont-ils choisi cet art, dans quelle filiation s’inscrivent-ils ? Comment élaborent-ils leur propos ? Avec quels partis pris ? Quelle dramaturgie pour quel mouvement ? Cet ouvrage est un portrait de trois générations, de leur art engagé. Un panorama qui traverse vingt ans de création, et qui par le regard des artistes dessine le cirque ici et maintenant dans toute sa richesse et sa diversité.

  • Autrice : Anne Quentin
  • Éditeur ‏ : ‎ Centre National des Arts du Cirque; Illustrated édition (1 décembre 2019)
  • Langue ‏ : ‎ Français